L'Autre moitié de l'homme Joanna Russ

L’autre jour, un type m’a regardée comme si j'étais une chatte grande ouverte, un peu comme le tableau L’Origine du monde mais en pire. J’ai eu envie de lui crever les yeux et de lui arracher la trachée à coups de dents comme Jael dans L’Autre moitié de l’homme. Et oui, vers la fin, ça devient violent. Il y en a qu’on aimerait tuer. Mais c’est interdit par la loi.

L’Autre moitié de l’homme de Joanna Russ, dont le titre original est The Female man, qu’on pourrait traduire par l’homme femelle ou encore l’homme femme (femme étant dans ce cas un adjectif), est un roman de science-fiction féministe vraiment drôle et désespérément réaliste. Il fait partie de la liste des livres à lire cités dans le Manifeste Cyborg de Donna Haraway. 

Janet vient du futur d’un univers parallèle au nôtre où tous les hommes ont disparu depuis des siècles. Sur un ton apparemment léger, le roman réponds à la question : « Vous êtes-vous déjà demandé ce que serait le monde s'il ne restait que des femmes sur Terre ? » C’est le pitch qui présente la série ZéroStérone (France TV Slash) dans laquelle les femmes sont finalement quand même et toujours obsédées par les hommes, à la recherche des hommes, émerveillées par les hommes. L’Autre moitié de l’homme répond : en trois générations, ils étaient oubliés.

Janet débarque dans notre présent des années 1970. C’est un peu le naïf primitif ou plutôt la naïve primitive (même si sa société est quand même plus évoluée que la nôtre tant sur le plan scientifique que social) qui débarque dans la société civilisée (la nôtre, soi-disant) pour faire contraste et relever les contradictions de la société civilisée en question à travers le regard frais de la voyageuse. Janet ne comprend pas nos coutumes amoureuses et l’organisation sociale entre hommes et femmes. Mais elle n’en a pas grand-chose à fiche. Janet est libre, dégagée, elle fait une étude de terrain qui nous présentera à différents personnages, femmes et hommes. 

Peu à peu vont se joindre à elle Jeannine et Joanna. Elle vont former les trois « J ». Au début, le livre semble confus, on ne comprends pas très bien qui est qui. L’autrice joue avec les pronoms sujets pour les emmêler. Les trois « J » se mélangent, se superposent. Puis peu à peu on réalise qu’elles sont les trois femmes que chaque femme a été ou a pu être : Jeannine, le femme soumise obsédée par l’idée du mariage et des hommes mais qui à la fois souffre car elle sent que quelque chose cloche dans tout ça. Il y a Joanna l’autrice du livre et Janet, la femme vraiment libre, courageuse, à l’individualité libre. Il y a aussi, vers la fin, Jael, venue d’un autre monde, qui aimerait se réconcilier avec le peuple des hommes. Mais elle finit par lâcher l’affaire. C’est mission impossible. A l’âge de 40 ans Jael a enfin atteint la liberté. Et oui, 40 ans c’est le temps qu’il faut (avec de la chance) pour se débarrasser de toutes les merdes qu’on nous a mises dans la tête. Il y a aussi Laur/Laura/Laure/Laura Rose. Elle a au moins quatre prénoms. Elle est toute jeune et timide, pas du tout féminine. Elle est lesbienne. Moi aussi, j’ai été et je suis les trois « J ».  Je suis Janet, je suis Joanna, je suis Jeannine, je suis Jael, je suis même Laur. 

En lisant ce roman publié en 1975 (donc écrit avant cette date-là), on se rend compte que les micro et macro-machismes sont toujours les mêmes aujourd’hui, 50 ans après. Même si quelques petites choses ont évolué, on est encore bien loin de pouvoir signer le traité de paix, d’harmonie et d’égalité que souhaite Jael. 

L’Autre moitié de l’homme est un livre à découvrir ou redécouvrir absolument et à ajouter à votre bibliothèque féministe LGBT non-homme-cis-blanc-hégémonique-etc., vous connaissez la chanson. C’est un livre à mettre entre les mains de toutes les filles et de tous les garçons, si ces derniers tiennent le coup et réussissent à le lire en entier sans commencer à élever des objections scandalisées et pleurnichardes. Qu’ils préparent leurs mouchoirs eux-mêmes, maman est occupée.

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