Mon robot

Poème publié dans la revue Poétisthme, numéro 8, septembre 2020.

Mon Petit Poney Starshine
« On retourne à Bruxelles !
Tu vas devoir donner
tes petits poneys.
Il n’y a pas de place pour eux
dans la voiture. » Ma petite
voisine est contente. « Ça fera
une belle décoration ! »
Mais les poneys ne sont pas faits
pour décorer. Ce sont
des jouets. Je pleure et renifle
sur leur sort et le mien. Mon père
sourit. Ma mère se sent
coupable encore aujourd’hui.
Je ne lui en veux pas. Elle en a
bavé elle aussi.

Je ne prie plus le soir. Je frotte,
personne ne le sait, mon clitoris
contre le coussin. « Tu peux l’amener
dans la voiture. »  Mon frère
a le mal de mer. Il vomit.
Horreur ! Mon coussin atterrit
dans une poubelle d’autoroute. « Non !
Ne le jetez pas ! J’en ai besoin pour…
Je ne connais même pas le mot
masturber. Mais j’ai déjà entendu celui-ci :
« Ne monte pas sur la mobylette du voisin,
il va t’amener dans la montagne
et te violer. » C’est quelque chose
d’horrible qui risque de m’arriver si moi
je monte sur la moto. « Non ! Ne le jetez pas !
J’adore ce coussin ! » Ça n’avait pas marché
pour les poneys. Je n’ai rien dit,
résignée. Tant pis pour moi.
La prière aussi à la poubelle
avec le vomi et l’odeur de ma cyprine.

Nous voilà de retour à Bruxelles,
dans un 2 pièces multifonction
pour 4 avec salle de bain
sur le palier. Mon frère et moi
dormons sur deux matelas
par terre. Je ne peux plus
me masturber comme quand j’avais
une chambre à moi et un robot-
esclave-sexuel. Lui aussi est resté
en Espagne. Sur la route, j’ai perdu
mes poneys, mon coussin, mon robot.

Dans la salle de bain, je fabrique
une grosse boule de serviettes
de bain. Je me pose dessus
et je frotte Mes genoux
sont plantés sur le carrelage
dur et glacé. Si j’étais un homme,
je pourrais me branler
debout ou assise sur la cuvette
des WC. C’est plus confortable.
Pourtant, croyez-moi,
jamais je ne me suis dit :
« Ah, si j’étais un homme,
mais je ne suis qu’une femme.
C’est toujours moins que…
Les hommes, c’est toujours
plus que... Je ne pleure pas
sur le sort de mes pauvres genoux.
La douleur et l’inconfort
en ont valu la peine.

Messieurs, dames, voici un secret :
N’allez surtout pas croire qu’à 12 ans,
je cherche une vraie bite d’homme.
Je n’aime que mon coussin.
Et n’allez surtout pas utiliser
ce que je vous raconte
pour aller violer les petites filles
et ensuite clamer :
« Elle était consentante ! »
« Elle m’a séduit ! »
Et n’allez surtout pas croire
que vous pouvez baiser
de grandes filles majeures
de 30, 40, 50, de 80 ans
sous prétexte que ce sont des femmes. 
Et ensuite hurler à tout vent :
« C’est une injustice ! »
« C’est une calomnie ! »
« Elle ment ! »
« C’est moi la victime ! »

Je suis heureuse d’être en vie
en 2020 sans père ni mari. 
« Oh t’es célibataire ?
C’est dommage ! » 
Posons-nous sérieusement
la question. Dommage pour qui ?
Pas dommage pour moi. Ni dommage
pour vous. Je me lève
de table et je rote quand les convives
me disent que c’est normal
que les filles s’embrassent
à l’adolescence. Que c’est une étape,
que ça passe. Ça ne passe pas,
sachez-le ! Les hommes s’agenouillent
devant moi dans les toilettes
des discothèques et me lèchent
le clitoris. Je maintiens leur tête
en bas, les doigts accrochés
à leurs cheveux. « Relève-toi. Merci,
au revoir. » Et j’embrasse
les petites bouches des femmes.
Avides, elles me sucent la langue.
Et les hommes se couchent 
en position fœtale,
les genoux relevés
et j’entre mes doigts et mon gode
au fin fond de leur anus. La ceinture
est solide. Je suis le robot
et je suis le maître.



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