Ligne 98, nouvelle

Le bus fonçait à toute allure dans la nuit. Il traversa le pont Pueyrredón comme une flèche et entra dans la banlieue sud de Buenos Aires. À cette heure-ci, il n’y avait plus de contrôles policiers. Alors, il se permettait de voler par-dessus les dos d’âne. Les pneus crissaient dans les virages. Ce n’était plus un bus, c’était une montagne russe. Rodrigue était assis tout au fond. C’était le seul passager. Le bus freina brutalement à un feu rouge et redémarra aussitôt. Rodrigue avait perdu la partie. GAME OVER. Il allait devoir tout reprendre depuis le début.

— Putain de chauffeur !

Furieux, Rodrigue envoya un message à Annabelle pour lui raconter ce qui venait d’arriver. Il serrait fort son téléphone dans les mains. Quand il appuya sur le S, la lettre sauta. Quoi ? 

Toutes les lettres de se mirent à sauter hors de l’écran comme du pop-corn pour finir éparpillées par terre. Rodrigue se leva de son siège en titubant à cause de la vitesse. Il se mit à quatre pattes et commença à pourchasser les lettres. Mais elles roulaient de toutes parts et lui échappaient. Ça avait l’air de beaucoup les amuser. (...)

Nouvelle publiée dans la revue Caractère, mai 2021, Volume XXIX n°1, Hiver 2021

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